dimanche 29 avril 2012

La mort de Caracalla en chemin vers le temple de Lunus à Carrhes - Antoninien frappé à Rome (215)

Hérodien et l'Histoire Auguste mentionnent la volonté de Caracalla lors de la campagne parthique en 217 sur le chemin d'Edesse à Carrhes, de rendre visite au temple de la Lune (σελήνης) pour l'historien grec ou du dieu Lunus pour l'auteur de la vie de Caracalla. La ville de Carrhes (ou Carrhae) en Mésopotamie est le lieu de la fameuse défaite Crassus en 53 av. J.-C. Elle possédait un temple très ancien dédié à un dieu devin (mantique): Lunus, dieu masculin lunaire sans doute le dieu sémite Sin. Les Grecs et à leur suite les Romains ont féminisé ce dieu afin de l'intégrer à leur propre panthéon (Séléné, Luna). Voici ce qu'en dit d'ailleurs l'Histoire Auguste:
"Puisque nous avons fait mention du dieu Lunus, nous devons ajouter que tous les savants ont écrit, et que les habitants de Carres surtout ont encore aujourd’hui la conviction, que ceux qui croient devoir honorer la Lune comme une déesse et lui donner un nom qui suppose ce sexe, sont à jamais les esclaves des femmes; tandis que celui qui lui offre son culte comme à un dieu, et lui en donne le nom, se fait toujours obéir des femmes, et n’a rien à craindre des pièges qu’elles peuvent lui tendre. De là vient que les Grecs et les Égyptiens, tout en désignant par un nom féminin la Lune, comme si elle était une déesse, ont soin cependant de l’appeler dieu dans leur langue sacrée."
L'antoninien présenté ici porte à son revers une rare représentation de Luna dans un bige de taureaux.


n° C104 

Dénomination: Antoninien

Empereur: Caracalla

Avers: ANTONINVS PIVS AVG GERM - Buste radié, drapé et cuirassé, vu de l'avant.

Revers: P M TR P XVIII COS III P P - Luna, un croissant sur la tête et l'écharpe flottante, dans un bige de taureaux courant à gauche.

Atelier (année de frappe): Rome (215)

Références: RSC 294a (75£) - RIC 256c (S) - BMC 120 - Hill 1466 (R2) - BnF /.

Caractéristiques: Argent, 22mm, 4.8g, 12h - Ex. Parsy.

Commentaire:

Le fait que Caracalla allait au temple de Lunus, dieu qui prédit l'avenir, a certainement précipité le complot ourdi par Macrin pour assassiner l'empereur. Le 8 avril 217, lors d'une halte sur le chemin vers le temple, un de ses gardes du corps, Martial, le poignarde à mort.
Voici comment Hérodien relate l'assassinat de Caracalla: "il y avait parmi les gardes d'Antonin un centurion nommé Martial, qui accompagnait toujours le prince, et dont celui-ci, peu de jours auparavant, avait fait périr le frère, sur la foi d'une simple dénonciation. Il traitait Martial lui-même outrageusement, l'appelant lâche, efféminé, et digne ami de Macrin. Ce dernier n'ignorait pas le double ressentiment que la mort d'un frère et des insultes personnelles avaient allumé dans le cœur de Martial : il le fait venir, et, comptant sur son zèle depuis longtemps à l'épreuve, et surtout sur le souvenir de nombreux bienfaits, il lui propose de saisir la première occasion pour assassiner Antonin. Martial, séduit par les promesses de Macrin, entraîné par son propre ressentiment contre l'empereur, et par le désir aveugle de venger son malheureux frère, s'engage sans délibérer à saisir la première circonstance pour tout oser.
Peu de temps après cette entrevue, Antonin qui se trouvait à Carrhes, ville de Mésopotamie, eut envie d'aller visiter le temple de la Lune, divinité que les habitants honorent du culte le plus respectueux. Ce temple était assez éloigné de la ville pour que le trajet fût presque un voyage; aussi Antonin, pour en épargner la fatigue à toute son armée, ne prit-il pour escorte qu'un petit nombre de cavaliers, se proposant d'ailleurs de revenir après avoir sacrifié à la déesse. Au milieu du chemin, se sentant pressé d'un besoin, il quitte sa suite, et, accompagné d'un seul de ses gens, il veut le satisfaire. Alors Martial, qui épiait sans cesse l'instant favorable, voyant l'escorte rangée à l'écart loin de l'empereur, par respect pour la bienséance, et l'empereur seul, court vers lui comme s'il en eût été appelé du geste ou de la voix, et au moment où le prince avait le dos tourné et détachait ses vêtements, il le frappe à la gorge d'un poignard qu'il tenait caché dans ses mains. La blessure était mortelle, et Antonin tomba mort à l'instant sans pouvoir se défendre."
Sur la monnaie ci-dessous, on peut voir une représentation du temple de Lunus avec au centre, sur un tripode, un bétyle conique surmonté d'un croissant de lune. D'autres croissants ornent le fronton du temple ainsi que des étendards de part et d'autre de la pierre sacrée.


Revers d'une monnaie de Septime Sévère frappée à Carrhes (http://www.arminius-numismatics.com/)

samedi 14 avril 2012

Deux légendes d'avers pour un type à la Victoire - Deniers de Septime Sévère (Laodicée, 198)

Voici deux deniers présentant la Victoire, comme toujours ailée, marchant à gauche et munie de ses deux attributs traditionnels: la palme et la couronne. La légende de revers indique la Victoire des Augustes (Septime Sévère et Caracalla) et précise les titres de l'empereur père: son deuxième consulat (depuis 194) et celui de Père de la Patrie. 
Ces deux deniers ont été frappés à peu de temps d'intervalle dans l'atelier syrien de Laodicea ad Mare. Le plus ancien (S110) a une titulature que l'on peut déployer ainsi: L[VCIVS] SEP[TIMIVS] SEVERVS PER[TINAX] AVG[VSTVS] P[ONTIFEX] M[AXIMVS] IMP[ERATOR]XI. Cette légende a été utilisée peu de temps au début de l'année 198.  Ce denier ne semble pas avoir été frappé à Rome. Le suivant (S118) a une titulature différente et employée jusqu'en 202. Le début est modifié ainsi: SEPTIMIVS est rallongé de SEP en SEPT, SEVERVS est abrégé en SEV et les mentions à Pertinax (PERT) et au grand pontificat (P M) sont abandonnés. A la fin, la onzième acclamation impériale est suivie du titre de grand Parthique (PART[HICVS] MAX[IMVS]). Ce denier a aussi été frappé à Rome comme souvent pour les deniers de Laodicée dits du "nouveau style".



n°S110



n°S118

Dénomination: Denier

Empereur: Septime Sévère

Avers: S110: L SEP SEVERVS PE-R AVG P M IMP XI ; S118: L SEPT SEV AVG IMP XI - PART MAX - Tête laurée à droite.

Revers: VICT AV-GG - C-OS II P P - Victoire marchant à gauche, tenant une couronne de la main droite et une palme de la gauche.

Atelier (année de frappe): Laodicée (198)

Références: S110: RSC 695 (25£) - RIC 499 (C) - BMC 634-5 - BnF 6531-2 ; S118: RSC 694a (30£) - RIC 513B (R) - BMC / - BnF /.

Caractéristiques: S110: Argent, 18mm, 3.4g, 12h - Ex. Creusy ; S118: Argent, 19mm, 2.8g, 12h - Ex. Cresson.

Note: Ce type est très courant à Rome avec IMP X. Pour Laodicée, la monnaie avec légende en PART MAX semble plus rare que celle en IMP XI seul. Le RIC cite la collection L. A. Lawrence et il est étonnant que le BMC n'en fasse pas mention. Elle est absente des collections de Londres et Paris.

Commentaire:

Tout d'abord, on constate qu'une des deux monnaies porte le titre de PART MAX et que l'autre non. L'acclamation impériale et le titre de grand Parthique sont donc clairement dissociés sur les deux deniers de même type de revers à la Victoire.
L'acclamation impériale est le fait des troupes qui accordent ce titre à leur général en chef victorieux. Ce terme d'imperator a donné abusivement en français le mot empereur. Par cette acclamation, le général a droit au triomphe accordé par le Sénat. Ce dernier ne fait donc que valider en quelque sorte ce que les soldats ont accordé à leur chef. Le premier denier frappé en Syrie, donc au plus près des champs de bataille de la campagne orientale, a été en quelque sorte émis en avant-première juste avant que les nouvelles arrivent à Rome et que le Sénat donne le titre de grand Parthique à Sévère. Ce qui explique l'inexistence de cette monnaie pour l'atelier de Rome. En revanche, le titre de grand Parthique ne pouvait être donné par les soldats. Lorsque le second denier est émis en Syrie, la nouvelle est donc connue à Rome et le Sénat a accordé le titre de Parthicus Maximus à Septime Sévère. C'est pour cette raison que des deniers de ce type ont aussi été frappés à Rome.

dimanche 1 avril 2012

Plusieurs variantes pour le départ de l'empereur - Denier de Caracalla (Rome, 213)

Le départ de l'empereur, la profectio, est souvent représenté à cheval. Contrairement aux légionnaires, les officiers supérieurs et généraux et notamment le premier d'entre eux se déplacent à cheval. Or, il est ici à pied. Ce qui ne change pas, en revanche, c'est la lance pointée vers le haut: Caracalla est prêt à partir en campagne. La monnaie est non datée et la titulature au droit indique la fourchette 210-213 grâce au titre de Britannicus. Ce denier est en fait très certainement lié à la campagne de 213 contre les Alamans qui lui vaudront le titre de Germanicus. Hill place cette monnaie au sein de la deuxième émission du règne seul, au début de l'année 213. Il existe un type proche de la même émission où le soldat et son enseigne sont remplacés par deux enseignes fichées au sol.


n° C57



n° C97

Dénomination: Denier

Empereur: Caracalla

Avers: ANTONINVS PIVS AVG BRIT - Tête laurée à droite.

Revers: PROFECTIO - AVG - C57: Caracalla en habit militaire, debout à droite, tenant une haste des deux mains; derrière lui, un soldat tenant une enseigne; C97: Même description, sauf que le soldat est derrière Caracalla, en partie caché par lui et l'enseigne à peine visible.

Atelier (année de frappe): Rome (213)

Références: C57: RSC 509 (40£) - RIC 226 (S) - BMC SG 95-6 - Hill 1337 (S2) - BnF 6921, X.L. 1984/385 ; C97: RSC 509a (45£) - BnF 6919-6920.

Caractéristiques: C57: Argent, 18mm, 3.22g, 12h. - Ex. Monnaies d'Antan VSO 4 n°252 ; C97: Argent, 18mm, 3.6g, 1h - Ex. Hugon Numismatique.

Note: Cohen cotait 10f cette monnaie, ce qui est exagéré au vu du nombre d'exemplaires constaté de nos jours. La cote de 40£ permet d'avoir une idée plus juste, de même que l'indice S2 de Hill. La variante avec porte-enseigne accolé semble un peu plus rare que le type principal.
L'exemplaire C97 provient d'un trésor tunisien trouvé par une compagnie de chemin de fer dans les années 1930.

Commentaire:

La variante avec le porte-enseigne accolé à l'empereur est rapportée par le RSC avec la référence : Seaby's Bull. Jan. 1942 (G. R. Arnold). Elle semble être une véritable variante et non une simple variation de gravure sur un coin. En effet, plusieurs monnaies issues de coins différents montrent cette particularité. Il est par contre difficile de trouver un sens précis à ceci.
Une légion regroupée sous un insigne particulier, l'aigle, est composée d'environ 5000 hommes. Elle est subdivisée en dix cohortes de trois manipules elle-même (sauf la première) composée de six centuries. Outre l'aigle, unique, qui symbolise la légion et que l'on peut voir sur certains deniers de Septime Sévère, de nombreuses enseignes existaient au sein de la légion. En effet, chaque manipule (ou centurie?) avait son enseigne (signum) portée par un soldat particulier: le porte-enseigne ou signifer. Ce dernier revêtait souvent une dépouille animale sur son casque avec la tête et les pattes avant, d'un loup généralement. Cet uniforme devait être particulièrement impressionnant sur un champ de bataille et devait contribuer à effrayer l'ennemi. Il y a peut-être aussi originellement une signification totémique. L'enseigne était parfois couronnée par un fer de lance ou une main (d'où le lien avec manipule), comme on le devine sur un de nos deniers. La hampe était abondamment décorée de 2 à 6 disques, de croissants de lune, de tours ou de couronnes. Les disques pouvaient être décorés d'un aigle ou d'un portrait. Ces variations permettaient de distinguer chaque unité. On notera enfins ur un de nos deniers, en bas sur la hampe, une poignée recourbée. En effet, les enseignes étaient souvent plantées dans le sol et il fallait une certaine force pour pouvoir les sortir. Les illustrations ci-dessous montrent différentes enseignes sur des reliefs de la colonne trajane à Rome.

Enseignes (Détails de la colonne trajane, Rome)